24 de junio de 2008

MÉMOIRES D'UN AMNÉSIQUE - Erik Satie

LA JOURNÉE DU MUSICIEN

L'artiste doit régler sa vie.
Voici I'horaire précis de mes actes journaliers:
Mon lever: à 7h.18; inspiré: de 10h.23 à 11h.47. Je déjeune à 12h.11 et quitte la table à 12h.14.
Salutaire promenade à cheval, dans Ie fond de mon parc: de 13h.19 a 14h.53. Autre inspiration: de 15h.12 à 16h.07.
Ocupations diverses (escrime, réflexions, immobilité, visites, conntemplation, dexterité, natation, etc...): de 16h.21 à 18h.47.
Le dîner est servi à 19h.16 et terminé a 19h.20. Viennent des lectures symphoniques, à haute voix: de 20h.09 à 21h.59.
Mon coucher a lieu régulierement à 22h.37. Hebdomadairement, réveil en sursaut à 3h.19 (le mardi).
Je ne mange que des aliments blancs: des œufs, du sucre, des os rapés; de la graisse d'animaux morts; du veau, du sel, des noix de coco, du poulet cuit dans de l'eau blanche; des moisissures de fruits, du riz, des navets; du boudin camphré, des pâtes, du fromage (blanc), de la salade de coton et de certains poissons (sans la peau).
Je fais bouillir mon vin, que je bois froid avec du jus de fuchsia.
J'ai bon appetit; mais je ne parle jamais en mangeant, de peur de m'étrangler.
Je respire avec soin (peu à la fois). Je danse très rarement. En marchant, je me tiens par les côtés et regarde fixement derrière moi.
D'aspect très serieux, si je ris, c'est sans Ie faire exprès. Je m'en excuse toujours et avec affabilité.
Je ne dors que d'un œil; mon sommeil est très dur. Mon lit est rond, percé d'un trou pour le passage de la tête. Toutes les heures, un domestique prend ma température et m'en donne une autre.
Depuis long temps, je suis abonné à un journal de modes. Je porte un bonnet blanc, des bas blancs et un gilet blanc.
Mon médecin m'a toujours dit de fumer. Il ajoute à ses conseils: "Fumez, mon ami: sans cela, un autre fumera à votre-place."

ERIK SATIE, Février 1913.